B001 ⎜ Défendre vitis vinifera, est-ce réac ?
La réponse en 50 nuances d’hybrido-scepticisme de Valentin Morel, vigneron du domaine Les Pieds sur Terre, dans le Jura.
Les billets – 30/10/25 – Valentin Morel
 
			Radical, névrosé, philosophe, hybridophile complexé ou propagandiste : quel hybrido-sceptique êtes-vous ?
La question se pose aujourd’hui en raison de la montée en puissance des hybrides ces dernières années. Leur médiatisation croît, et à titre personnel, je ne compte plus le nombre de collègues qui sollicitent mes conseils. Je précise d’emblée que ce mouvement concerne tant le mouvement du vin naturel que des acteurs industriels ou des interprofessions.
Cette question polémique, j’en saisis bien sûr le caractère humoristique, m’évoque immédiatement les débats d’il y a un siècle lors de l’arrivée des maladies viticoles depuis le continent américain. Les positions furent virulentes et démontraient l’opposition entre « deux viticultures irréconciliables » comme dirait l’autre… Je pense à deux séries de questionnements qui ont saisi mes ancêtres vignerons. D’abord, fallait-il greffer la vigne sur porte-greffe ou préférer lutter chimiquement contre le phylloxera, ce fut le fameux débat entre « américanistes » et « sulfuristes ». Ensuite, comment continuer à pratiquer la viticulture avec les maladies cryptogamiques ? Planter des hybrides producteurs y résistant ou traiter la maladie elle-même en continuant avec des Vinifera ?
« Les discussions actuelles ne sont qu’une résurgence de cette problématique vieille d’un siècle »
Il est primordial de comprendre ce contexte que nous subissons toujours : le phylloxera, le mildiou et l’oïdium etc., arrivés entre 1850 et 1880 sont toujours là et ont changé à jamais notre métier. Les discussions actuelles, et cette question en particulier, ne sont qu’une résurgence de cette problématique vieille d’un siècle.
Depuis la parution de mon livre et que ce thème me colle à la peau, je pense pouvoir distinguer plusieurs nuances d’hybrido-sceptiques :
Le radical
Il peut être bio, biodynamiste, conventionnel, « raisonné », artisan ou industriel, mais il ne voudra jamais entendre parler d’hybrides. Il ne brille ni par son argumentation, ni par sa bonne foi. Il est hostile car ces cépages « n’ont rien à faire là » et aucune création ne pourra égaler la qualité de cépages Vinifera que l’Homme a mis tant de temps à sélectionner. Il défendra Vitis Vinifera jusqu’à épuisement de la dernière mine de cuivre disponible sur la planète !
Le névrosé
J’éprouve beaucoup d’affection pour cette catégorie et je pense pouvoir dire qu’elle est majoritaire. Pour la comprendre, il suffit d’imaginer un vigneron d’au moins une cinquantaine d’années à qui un jeune con prétentieux (puisque c’est l’un de mes titres officiels) vient expliquer les bienfaits des hybrides. Ce sont ici des mécanismes de défense psychologiques qui entrent en jeu car cela remet en question l’exercice du métier. Pis, dans l’un de ses aspects les plus éprouvants, la souffrance au travail. « Je me casse les pieds depuis trente ans à traiter entre six et vingt-trois fois par saison, et ce nouveau gourou vient me dire qu’on aurait pu faire autrement… » Le névrosé défend Vitis Vinifera car c’est son métier et qu’il l’exerce ainsi avec engagement depuis trente ans.
Le philosophe
Par définition, il doute. Et puisqu’il doute, il a planté quelques pieds d’hybrides « pour voir », il y a parfois longtemps, et bien avant que ce soit un sujet à la mode. Il avait découvert ça dans la revue suisse de viticulture arboriculture et horticulture une sorte de bible périodique à laquelle il est abonné. Il a placé les plants dans des « pointes » de vignes pour éviter de perdre du temps dans des manœuvres lors des traitements dans ces « faux rangs ». Tout est réfléchi, bien sûr, chez cet intellectuel de la vigne. Toutefois, il doute tellement qu’il doute même que ce vin, qu’il vinifie à part et qu’il trouve pourtant bon, soit vraiment bon. Il doute que ses clients lui en achètent donc il ne le leur présente pas. Il doute des hybrides, mais il doute aussi de Vinifera qu’il défend par dépit.
L’hybridophile complexé
Lui semble avoir mesuré tous les tenants et aboutissants. Il souhaite qu’environ 25 % de son parcellaire soit en hybride. Cela satisfait tant son bilan carbone que son bilan anxiogène de vigneron stressé par tous les fléaux qui guettent cette plante en phase de dégénérescence avancée. Mais il est un peu philosophe lui aussi, et avouons le, toujours un peu anxieux. « Et si, d’ici quelques années les hybrides se vendaient moins bien ? » ? Ou encore, « pourquoi se priver du plaisir que j’éprouve en dégustant mes vins de Vinifera ? » Sa défense de Vitis vinifera est nuancée mais elle n’est pas inexistante…
Le propagandiste
Nulle trace de défense de Vinifera chez lui. Il ne parle que d’hybrides toute la journée. Il surgreffe chaque saison un peu plus de Vinifera de son domaine et ne comprend pas « l’acharnement thérapeutique » de ses collègues à « faire pousser cette plante qui a envie de crever ».
A mon sens, seule la première catégorie dite du radical est réactionnaire en ce qu’elle s’oppose fondamentalement à ce progrès social qu’a représenté l’arrivée des hybrides. Doit-on leur rappeler que l’intégralité de leurs vignes est greffée sur des porte-greffes qui sont eux-mêmes des hybrides ? Pour conclure, je pense pouvoir dire que le syllogisme induit par la question posée est faux : Défendre Vitis Vinifera n’est pas toujours réactionnaire. En revanche, je suis presque sûr que le bon syllogisme se trouve dans la formule inverse suivante : les réactionnaires sont toujours hostiles aux hybrides. »
Valentin Morel
Vous aussi, vous pouvez participer aux futurs du vin
Gardez un temps d’avance, abonnez-vous à Vinofutur !
