Thien Uyen Do : « A force de tout standardiser, on perd la capacité à goûter et à discerner les nuances »
De juriste à Bruxelles à paysanne-cueilleuse à vigneronne dans le Sud-Ouest, Thien Uyen Do a transformé sa vie plusieurs fois, au gré des saisons et des circonstances. Cette capacité à se réinventer en autre chose sans se perdre, elle appelle ça fermentation. Rencontre.
Réinventer la vigne / Episode 13 – Octobre 2025 – Propos recueillis par Julie Reux

Photo Ulrike Pien.
Pendant 10 ans, Uyen a exercé comme conseillère juridique à Bruxelles, se spécialisant notamment dans les questions de biodiversité et de protection de la faune et de la flore en milieu urbain. Autodidacte, elle se réinvente d’abord en tant que paysanne-cueilleuse avecBorn to Be Wild, lors de leur installation à Combrillac avec son conjoint Florent en 2018. Elle rejoint ensuite pleinement le chai en 2021 après avoir suivi une formation en viti-oeno. En 2024, elle publie « Fermentation Rébellion, Petite philosophie de la fermentation » (Éditions Des Équateurs), un manifeste pour renouveler notre rapport au vivant, visible et invisible.
Aujourd’hui tu es vigneronne. Mais le processus semble avoir pris bien des détours. Tu as fait fermenter beaucoup de choses avant le jus de raisin. Explique-moi comment tu as commencé à faire fermenter des choses et le projet Born to be wild.
Thien Uyen Do. « Au départ, je me suis installée comme paysanne cueilleuse, sur le vignoble, pour ne pas m’installer à Combrillac en étant ‘la femme du vigneron’. N’ayant aucune formation viticole mais un diplôme de juriste, je ne voulais pas être reléguée aux fonctions compta et administratif. J’ai donc créé mon activité agricole, pour projeter ce qu’il était possible de faire. Au début, je n’avais pas du tout le projet de faire du vin, il y avait bien deux entités différentes, le domaine et Born To Be Wild, mon entreprise.
Après trois saisons, j’ai décidé de changer et de rejoindre le domaine… Plusieurs facteurs m’ont conduit à ce choix. J’étais seule à tout porter. Mon chiffre d’affaires représentait une goutte d’eau dans nos revenus. Et au niveau agricole, c’était hyper chouette, j’ai pensé plein de trucs, autour du permaculturel et de la résilience, mais au niveau valorisation, ça consistait à sécher les plantes, les conditionner et les vendre. À côté, je voyais Florent, mon conjoint qui est vigneron, qui avait chaque année un nouveau challenge. C’est le cas aussi en tant que cueilleur, je n’aimerais pas dévolariser ce métier passionnant. Mais dans les vinifications, la transformation est chaque année un renouvellement passionnant.
Ensuite, il y a la partie fermentation, que je trouvais hyper trippante dans le vin. Je faisais des fermentations de mon côté… et c’est ça qui m’a éclairé. Ce sont plein de convergences et de passerelles. Nos vignes sont en monoculture, par exemple, comme l’impose encore le modèle prédominant. En échangeant autour de nos pratiques, on s’est dit qu’il y avait du sens à créer quelque chose de plus global. On s’est dit qu’on pouvait faire fusionner nos deux activités, pour en faire quelque chose de plus fort, plus résilient, plus global. J’ai donc suivi un BTS viti-oeno. Et en trois ans de Born To Be Wild, j’avais gagné en assurance. J’avais moins de problème à entrer dans le chai, je me sentais moins en décalage. Aujourd’hui, je suis vigneronne à 100%. L’activité de cueilleuse demeure mais est devenue personnelle et familiale. Le jardin est toujours là, certaines plantes sont utilisées en phytothérapie, mais à la marge. »
Une des voies pour gagner en adaptabilité pour le futur, c’est la diversification. J’ai l’impression que tu fais le chemin à l’envers. Comment envisages-tu cette stratégie aujourd’hui ?
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